Hôtel Philippoz


Le soir, quand on s’en allait de chez toi, en fermant la porte derrière nous tu disais :
« Bonne nuit ! Je ferme l’Hôtel. »


Ma grand-mère, Esther Philippoz, habitait le duplex sis au Chemin de la chapelle 9 à Luc, Ayent. Lorsque elle a quitté son appartement pour la maison de retraite, j’ai documenté, à l’aide d’une caméra vidéo, le décor dans lequel elle avait passé ses 60 dernières années. Je voulais garder une trace de cet agencement d’objets, de cet environnement qui avait vu trois enfants naître, se chamailler et grandir, un amour s’interrompre à cause de la maladie, des rires, des pleurs et la lente décadence de la vieillesse. A l'image apparaît un espace rempli de bibelots qui côtoient l’absence de leur propriétaire, le vide.

Ma grand-mère décédait en novembre 2011.

Aujourd’hui j’ai hérité de cet appartement et j’y habite ; mon père et moi commençons à le rénover progressivement. L’ancien appartement de ma grand-mère est devenu un lieu de transition. Un lieu en transition, un chantier : des pièces que l’on rénove, des murs que l’on casse mais aussi des souvenirs qui se transforment – un chantier de la mémoire. Car au travers de cette mue physique, plusieurs questions surgissent : si la mémoire d’un lieu existe, où se cache-t-elle ? Dans les matériaux ? Dans les mémoires ? Que peut-on apprendre d’un lieu chargé d’histoire, que doit-on préserver de cette mémoire ? Qu’accepte-t-on de noyer sous une nouvelle couche de peinture ? Comment faire apparaître les différentes couches que composent la mémoire des matériaux, les phrases qui ont été prononcées dans un espace, les émotions et les vers à bois ?

C’est pour explorer ces problématiques que j’ai décidé de lancer le projet Hôtel Philippoz. Une partie de ce projet sera constituée d’une recherche artistique personnelle au moyen de la vidéo et de l’écriture. Puisque ce lieu est lié à mon histoire familiale et à la relation très forte que j’entretenais avec ma grand-mère, ce travail prendra la forme d’un carnet de bord : au fil de la rénovation, je documenterai mes impressions de manière autobiographique. C’est la partie de l’Hôtel liée à l’anecdote mentionnée en introduction.

Mais l’hôtel est aussi un lieu où l’on réside pour un temps seulement. Un lieu de transition, une résidence temporaire. C’est dans cet esprit que je souhaite inviter d’autres artistes, au cours de cette année de transition, à intervenir dans l’espace et à entrer en dialogue avec ce chantier. Je trouve important de solliciter un regard extérieur sur ce lieu ; détachés du contexte personnel qui est le mien, les artistes pourront explorer des problématiques plus larges, que j'ai regroupées en trois axes thématiques : la trace, la transmission et la vie en collectivité (détaillés en annexe, avec la liste des artistes invités). Ils interviendront dans l’espace, de façon à charger le lieu de nouveaux souvenirs, en couches, comme l’on ajoute une couche de glaçage sur un gâteau. Au terme d’une micro-résidence de quelques semaines dans l’appartement, les artistes présenteront au public une œuvre en relation avec le lieu. Chaque artiste sera invité à collaborer avec un ou des membres de la communauté villageoise d’Ayent, afin de créer un lien avec la population locale.

Au terme du projet, une édition documentera cette année de transition et regroupera les images de la rénovation, les travaux que j’aurai produits sur ma relation personnelle au lieu et à sa transformation, ainsi que la documentation des œuvres produites par les artistes invités.


- Eric Philippoz, juin 2013 -



At night, as your were closing the front door after us you used to say : “Good night! I’m closing the Hotel.”


Esther Philippoz, my grandmother, lived in the basement and first floor of the 9, Chemin de la chapelle, in Ayent, Switzerland. She passed away a year and a half ago. Today, I inherited from her flat and moved in. My father and I have already started some renovation work. The place where my grandma spent her last 60 years is becoming a place of transition, in transition. A building site where walls -and memories?- are dismantled and rebuilt. The space’s physical transformation brings along questions about the memory of a place : does it exist? in the affirmative, where does it lies? in the materials ? in the memories? What can one learn from a place steeped in history ? what shall one preserve from that history? What shall disappear under a layer of fresh paint? On the opposite, how can the layers of sentences and emotions, which form the memory of a place, come into sight?

The project Hôtel Philippoz is intended as both a physical space and a moment in time to research those problematics. Part of this project will take the form of a video and written diary I will realise during the renovation process. This autobiographical part of the Hôtel – related to the anecdote mentioned as an introduction - is linked to my personal family history, especially the strong relation that bound my grandmother and I.

But a hotel is also a place where one remains for a short while, a place of transition, a temporary residency. In the same spirit, during this year of renovation I would like to invite other artists to stay over at Hôtel Philippoz and to start a dialogue with the space. As I already mentioned, this flat is imbedded in a personal context; therefore, I find it important to request an external gaze on this space. Detached from my autobiographical background, the invited artists will be able to explore broader problematics, regrouped under three topics (further explained here-after) : trace, transmission and community life. They will work in the flat, adding a new history to the place, in layers, as one puts the topping on a cake. Each micro-residency will last a couple of weeks and will end with a public presentation of an in-situ work or research. The artists will be invited to work in collaboration with a member of the village, as to create a link with the local community.

To wrap up the whole project, a final publication will put together the transformation process, the works produced by the residents and the works I will produce on my personal relation to the place.


- Eric Philippoz, June 2013 -




Avec le soutien de l'Etat du Valais et de la Loterie Romande
With the generous support of Canton du Valais and Loterie Romande